L'eau des villes
La responsabilité de la distribution de l’eau relève des compétences des villes,
et si quelques-unes eurent,
dès les années 1980 – ou même bien avant, pour certaines –, une gestion intégrée et inscrite dans le long terme de leur eau,
leur exemple ne fut pas majoritairement suivi à l’époque.
Mais à partir des années 1990, l'eau redevint petit à petit une préoccupation des villes,
qui investirent massivement pour en améliorer la qualité et l'image.
L’essor du marché
des eaux en bouteille profita amplement
de la désaffection des municipalités vis-à-vis de leur rôle dans la distribution de l’eau,
et ce, un peu partout dans le monde, tandis que les villes continuaient à s’étendre,
à l’instar de l’industrie et de l’agriculture intensive.
En France,
où les sociétés privées
de distribution d’eau
étaient historiquement présentes, la mode était à la délégation de service public (DSP)
à des prestataires privés.
La Compagnie Générale des Eaux,
qui deviendra Veolia Environnement en 2003, fut créée
en 1853. Sept ans plus tard, Paris lui confie son service de distribution d'eau pour une période de 50 ans.
En 1999, Création de Vivendi Environnement qui regroupe l'ensemble des activités de services à l'environnement :
Vivendi Water (eau), Onyx (propreté), Dalkia (énergie) et Connex (transport).
L'histoire de Lyonnaise des Eaux débute en 1880
avec la création de la Société Lyonnaise des Eaux et de l'Éclairage (SLEE),
elle fusionne avec la Compagnie financière de Suez et donne naissance à Suez Lyonnaise des Eaux.
Le groupe Suez Environnement est créé en 2003, regroupant au sein d’une branche unique les activités eau, déchets, et énergie.
En bilan de la situation au début des années 1990,
un dossier sur les politiques de l’eau sur le site de la Direction de l’information légale et administrative résume :
« La distribution de l'eau du robinet est très
majoritairement assurée en gestion déléguée : 75 % du nombre
d'assurés desservis. La part des services d'assainissement confiée à des
sociétés privées s'accroît rapidement (plus de 35 % des services).
Essentiellement trois entreprises se partagent le marché : la Lyonnaise
des Eaux, la Générale des Eaux et la SAUR, Société d’Aménagement
Urbain et Rural, filiale du groupe Bouygues. Un grand nombre de
contrats de délégation de service public se caractérisaient par leur
opacité et la difficulté pour les collectivités locales de contrôler les
prestations des délégataires. Ce contexte, lié aux immenses enjeux
financiers, a favorisé la corruption dans le secteur des délégations des
services d'eau. »
Parmi les grands acteurs du marché
de l'eau pré-emballée,
il y a les sociétés distribuant
de l’eau du robinet, avec un fort savoir-faire en matière de potabilisation et d’acheminement.
Ces sociétés sont essentiellement présentes dans les services de vente et de livraison de bonbonnes d’eau.
Roche Claire, une filiale de Suez-Lyonnaise des Eaux, s’est ainsi spécialisée dans l’eau vendue en bonbonnes.
Vivendi a, pour sa part, racheté US-Filter, producteur de Culligan, une eau purifiée en bonbonne.
L'ambiguïté des sociétés privées de distribution d'eau
Ces sociétés ne veulent pas perdre de parts du marché face à Coca-Cola, PepsiCo,
d’autant plus qu’elles fournissent généralement l’eau pour les sociétés de sodas et de boissons sucrées.
Mais en agissant ainsi, ces sociétés se trouvent face à un dilemme :
comment assurer les consommateurs de la qualité de l’eau distribuée au robinet
si l’on vend de l’eau préemballée en expliquant qu’elle est meilleure ?
Quelle que soit la forme
que prît la gestion de l’eau dans les villes,
la qualité de l’eau du robinet se dégrada dans la majorité des cas jusqu’aux années 1990,
aux cours desquelles de lourds investissements furent faits pour sa mise aux normes de distribution.
Plus ces normes devenaient exigeantes, plus elles coûtaient cher.
Les préoccupations
qui menèrent la ville de New York à investir dans la préservation
de la région des Catskills, où se trouvent ses principales zones de captage,
n'étaient pas uniquement écologiques : les économies ainsi réalisées,
en comparaison avec les coûts qu’auraient entraînés les traitements nécessaires
pour potabiliser de l’eau non protégée, furent énormes, et
la qualité de son eau a aujourd’hui une renommée mondiale.
Dès les premiers calculs
il fut évident qu’un programme
global de protection du bassin versant coûterait beaucoup moins cher,
assurerait de manière plus efficace une bonne qualité de l’eau et engendrerait également de nombreux autres bénéfices,
alors qu’une stratégie de traitement de l’eau ne serait rien de plus qu’un gouffre
financier.
Payer pour protéger l’environnement
d’une région située à 160 kilomètres ou plus
représentait un investissement intelligent et profitable
pour la ville de New York, tout en développant
un système
de collaboration équitable avec les exploitants agricoles des Catskills.
Signe de son succès,
de nombreux restaurants,
y compris parmi les plus chics, servent de l’eau en carafe et le revendiquent.
La ville de New York a aussi développé son réseau de fontaines publiques, afin de permettre aux New Yorkais
d’en profiter partout dans la ville, et de limiter le nombre de bouteilles en plastique à recycler liées
à l’activité touristique de la ville. Une application mobile, Fountain info at your fingertips
(« Info-fontaine au bout des doigts ») permet de localiser les fontaines les plus proches…
Pour les municipalités où se trouvent
les sources renommées,
les sociétés versent
une taxe proportionnelle au nombre de bouteilles produites, qui peut aller jusqu’à
60 % du budget
d’une commune.
Pour avoir une idée du poids que cela peut, localement, représenter, à Vittel par exemple,
Nestlé est le premier employeur
du département
des Vosges avec son énorme
usine d’embouteillement.
Munich a depuis des années une politique exemplaire dans ce domaine.
Un effort de longue haleine, qui a commencé il y a plus de quarante ans par l’acquisition
de terres agricoles du bassin hydrographique de Mangfall, qui assure aujourd’hui 80 % de l’alimentation
de l’agglomération.
La plupart des terrains furent ensuite boisés.
Puis, au début des années 1990, la ville décide d’encourager la filière agricole à se convertir au biologique
sur l’ensemble des terres
en amont de la vallée du Mangfall. Elle intervient directement sur tous les maillons de la filière,
de la production à la commercialisation, en assurant notamment des débouchés à ces produits
dans ses propres services :
crèches, cantines…
Pour la municipalité,
le coût du programme
de soutien à l’agriculture biologique – 0,83 million d’euros par an
(soit 1 centime d’euro par mètre cube d’eau distribué) – n’est pas excessif dans la mesure
où la ville évite de coûteux traitements.
(À titre de comparaison, le coût de la seule dénitrification
est estimé en France à environ 30 centimes d’euros par mètre cube.)