Le charme brut de la Sardaigne : un itinéraire qui sent bon le sel, la pierre et le pecorino
Il y a des endroits qui ne demandent qu’à être traversés lentement — avec le vent dans les cheveux, de la poussière sur les chaussures, et un morceau de fromage corsé dans la poche. La Sardaigne fait partie de ceux-là. Sauvage et fière, cette île italienne au large de la Méditerranée déploie ses trésors avec discrétion : plages à couper le souffle, villages en équilibre entre passé et présent, traditions bien ancrées… Et ce parfum de mystère qui flotte autour des nuraghes, ces vestiges de pierre au nom presque magique.
Je vous embarque dans un circuit tout en contrastes, entre farniente et randonnée, taverne et archéologie. Une virée à travers la Sardaigne comme je les aime : les sens grand ouverts et les sentiers pas toujours tracés.
Plages inouïes et eaux couleur lagon : Capo Testa, Cala Luna et compagnie
Autant être franc dès le départ : si vous débarquez en Sardaigne sans passer un moment à vous noyer dans le bleu de ses eaux, ce serait presque criminel. Très loin de l’image saturée des plages bondées du continent, ici les criques se méritent – souvent après une belle marche ou une courte balade en bateau. Mais une fois les orteils dans le sable, on comprend vite qu’on n’est pas venu pour rien.
Commencez par Capo Testa, au nord de l’île, un petit bout de paradis taillé dans le granit. Des rochers sculptés par le vent, des eaux turquoise et une lumière rasante qui caresse les reliefs. Lors de mon passage, un vieux local m’a raconté que certaines roches avaient des formes d’éléphants, de dragons, voire même de tortues en pleine sieste. Avec un peu d’imagination (et un verre de Cannonau dans le nez), il n’avait pas tout à fait tort.
Pour une expérience plus confidentielle, mettez cap sur la côte est et laissez-vous séduire par Cala Luna. Accessible par bateau depuis Cala Gonone ou à pied via un sentier escarpé, cette plage bordée de falaises calcaires est un hymne à la nature brute. Ici, pas de transats, pas de musique, juste le ressac, les mouettes et un silence presque sacré.
Et puis il y a les petits coins secrets, ceux qu’on évite de trop nommer pour leur éviter le sort Instagram. Mais si vous êtes prêts à marcher un peu, demandez aux locaux du sud vers Teulada ou Chia : ils vous parleront de plages désertes où le sable crisse sous les pas comme un écho du paradis.
Les nuraghes : mystères de pierre et héritage millénaire
Il y a quelque chose d’émouvant dans ces tours en pierre qu’on trouve un peu partout sur l’île. Appelés nuraghes, ils datent pour certains de plus de 3500 ans, dressés là comme de vieux gardiens silencieux. Personne ne sait vraiment à quoi ils servaient : à la fois postes de guet, lieux de vie, sanctuaires ? Chacun a sa théorie.
Le plus impressionnant de tous, c’est sans doute le Su Nuraxi à Barumini, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Une forteresse de blocs empilés comme un jeu de géant, entourée de petites huttes circulaires. On se faufile à l’intérieur, on grimpe, on touche les murs rugueux… Et on s’imagine très vite revenir 30 siècles en arrière, dans un monde où le vent soufflait déjà entre les pierres.
Mais les nuraghes ne sont pas que des destinations touristiques. Ils sont les témoins vivants d’une culture enracinée, qui fait encore vibrer les villages alentours. Les habitants n’hésitent pas à vous raconter des légendes, parfois mêlées à la mythologie, sur les origines mystérieuses de ces structures. L’archéologie a beau essayer de tout expliquer, ici, on aime encore croire en un peu de magie.
Terroir sarde : fromages corsés, vins puissants et repas qui n’en finissent pas
Manger en Sardaigne, c’est entrer dans un monde de saveurs brutes et généreuses. Pas de chichis, mais du goût, de la tradition, du gras parfois… et surtout beaucoup d’amour.
Le pecorino sardo, par exemple, ce fromage de brebis légèrement piquant qui accompagne presque tous les repas. Il se mange jeune, pour sa douceur, ou bien affiné longuement pour les amateurs de sensations fortes. En parlant de fortes sensations… vous entendrez peut-être parler du casu marzu, ce fromage fermenté peuplé de larves vivantes. Inutile de vous mentir : j’ai testé. Difficile et inoubliable à la fois. Une sorte de rite initiatique, plus proche du saut à l’élastique que de la dégustation gourmande. Âmes sensibles s’abstenir.
Côté verres levés, offrez-vous un verre de Cannonau, ce vin rouge puissant, riche en tanins et en histoires. Les vieux du coin vous diront qu’il est à l’origine de leur longévité. Coïncidence ? Je ne crois pas. Accompagnez ça d’un porceddu rôti (cochon de lait) ou de culurgiones, ces raviolis de pommes de terre parfumés à la menthe et nappés de sauce tomate maison… et vous verrez que même une simple taverne peut vous faire pleurer de bonheur.
Un conseil : prenez le temps de manger. Ici, le repas est un moment sacré. Les gens mangent lentement, discutent, se lèvent, reviennent… Cela m’est arrivé plus d’une fois de déjeuner à 13h et d’en ressortir presque à la tombée de la nuit, un sourire béat sur le visage.
Les villages sardes : entre authenticité et chaleur humaine
Au-delà des plages et du patrimoine, ce que la Sardaigne offre de plus précieux, ce sont ses gens. Dans les petits villages perchés ou côtiers, l’hospitalité n’est pas une stratégie marketing mais un mode de vie.
Promenez-vous à Bosa, sur les bords de la rivière Temo. Les maisons aux couleurs pastel, le vieux château qui domine la ville, les petites barques de pêcheurs… Un décor de carte postale avec l’âme en plus. J’ai passé une soirée à discuter avec un artisan brodeur, un verre de myrte à la main. Il m’a appris que chaque motif sarde raconte une histoire, souvent liée à la famille, à la nature ou aux anciens. Un savoir transmis oralement et entretenu avec fierté.
Dans Orgosolo, c’est un tout autre décor. Ancien repaire de bandits, aujourd’hui célèbre pour ses murs couverts de murales engagés, le village dégage une énergie brute. Les graffitis colorés racontent la lutte, la révolte, la dignité. Ils vous interpellent en silence, comme un appel à ne pas consommer le voyage, mais à le vivre.
Et puis il y a ces villages perchés dans l’arrière-pays, comme Gavoi ou Ulassai, où le temps semble suspendu. Moins touristiques mais ô combien vibrants, ils offrent un aperçu sincère de la vie insulaire. Allez-y tôt le matin, quand les rues sont désertes et que les premiers cafés commencent à fumer. Écoutez, respirez. Voilà l’essence du voyage.
Voyager autrement : à pied, à vélo, ou en vieille Fiat Panda ?
La beauté de la Sardaigne, c’est aussi de pouvoir la découvrir lentement. Pas besoin de courir les spots Instagram les uns après les autres. Ici, chaque détour de route peut devenir une aventure.
De plus en plus de voyageurs optent pour la randonnée ou le vélo, surtout dans les régions du Gennargentu ou de l’Ogliastra. Les sentiers serpentent entre forêts, crêtes rocheuses et plateaux sauvages, avec des vues à couper le souffle. Parfois, on croise un berger et ses chèvres, ou une grand-mère qui vous tend une figue fraîche avec un large sourire édenté.
Et puis il y a ceux qui, comme moi, préfèrent une vielle voiture (personnellement, je suis tombé amoureux d’une Fiat Panda des années 80 durant ce trip – elle grinçait dans les virages mais m’a mené partout). Le plaisir de rouler au hasard, de s’arrêter dans un village inconnu, d’acheter des tomates au bord de la route… c’est aussi ça, le luxe du voyage.
Et si on en faisait un voyage écoresponsable ?
La Sardaigne souffre parfois de son succès, notamment en été. Les plages les plus célèbres, comme La Pelosa près de Stintino, sont aujourd’hui limitées en accès pour préserver leur écosystème. C’est une bonne nouvelle, mais aussi un rappel.
Voyager ici, c’est aussi respecter un équilibre fragile. Évitez les plastiques inutiles, soutenez l’économie locale, optez pour des hébergements familiaux plutôt que de gros resorts. Et surtout, sortez des sentiers battus. La Sardaigne regorge de joyaux ignorés du tourisme de masse.
Un dernier mot ? La Sardaigne n’est pas une destination, c’est une rencontre. Avec une terre, une histoire et des visages. Elle vous accueillera comme vous êtes, si vous la regardez avec les yeux du cœur.
Et entre deux fromages corsés et quelques rochers en forme de dragon, il se pourrait bien que vous ayez, vous aussi, un petit morceau de votre âme qui décide de rester là-bas…